Juan de Sande

Le travail du photographe espagnol Juan de Sande questionne l'appréhension de l'environnement dans lequel nous évoluons.
La série présentée à La Galerie Particulière pour sa première exposition en France, « En Sombra en Nada », est constituée de photographies de paysages du Nord de l'Espagne prises de nuit.
Le format des images, la qualité des prises de vue et l'extrême précision du rendu nous font « rentrer » dans les moindres détails, nous permettant d'appréhender et de saisir, de percevoir - dans sa définition première, Percipere - «prendre ensemble », l'intégralité des détails qui les constituent.
Pourtant si la lecture des images est aisée, très vite un certain inconfort se ressent : quelque chose ne « colle pas ».
Ce sentiment d'étrangeté face à ces photographies nous amène à nous questionner sur ce que nous entendons par le terme trop courant de « Paysage ».

Le paysage est à la fois une perception, une pratique et une conception. Il se situe dans l'interrelation de trois composants : un lieu, le territoire, objet de la perception ; l'image que l'on se fait de ce lieu par l'intermédiaire de nos sens - essentiellement visuels - ; et des schèmes culturels qui régissent cette représentation, soit un certain « concept » du paysage.
S'il existe des nuances dans la définition du paysage, sa nature première demeure une représentation.

« Le paysage nait de la rencontre d'un lieu, d'un territoire sensible et d'un être sentant »*.
Ainsi plusieurs paysages peuvent être issus du même territoire : la perception sensorielle est tout sauf objective, nos sens peuvent être trompeurs - les mirages dans le désert - et dans tous les cas l'interprétation que nous en avons varie selon les individus, comme la perception de cette étrange lumière dans les paysages nocturnes de Juan de Sande.
Mais une chose est cependant commune à ces rencontres : en le transformant en paysage, l'homme s'approprie le territoire.
La plupart des photographies de paysages sont prises à hauteur d'homme en vue frontale : l'homme qui photographie le territoire est debout et les pieds sur terre, ce faisant il perçoit l'espace à partir de lui comme point zéro de la spatialité. Le paysage devient le corrélat de ses gestes, de ses actions.
De là à vouloir le manipuler, le marquer de son empreinte, il n'y a qu'un pas.

C'est cette manipulation, cette recréation qui en jeu dans le travail de Juan de Sande. Déjà dans la série « Punta de Vista Imposible », les images de paysages urbains qu'il nous donnait à voir étaient la résultante d'une superposition de cinquante prises de vue différentes du même bâtiment, créant une image qui au premier regard semblait juste, mais qui dans un second temps révélait dans ses détails une juxtaposition d'éléments impossibles à trouver réunis dans la réalité.
Dans la série « En Sombra en Nada », le sentiment d'étrangeté vient de la possibilité de voir des lieux de nuit comme si nous étions en plein jour, ou presque : l'éclairage, composé de sources lumineuses contradictoires, c'est-à-dire disposées dans des angles opposés et produisant des sources multiples et artificielles, nous fait entrer dans un univers qui se situe au-delà de la réalité, dans une autre nature, qui magnifie l'originale.
Et ces paysages figés et magnifiés, qui ne sont plus des lieux d'activités humaines, desquels l'homme a même été rejeté, sont comme une image fixe que l'on conserve dans sa mémoire. Le rôle de l'homme se lit désormais au travers de cette réalité qu'il réinvente : conserver la mémoire de certains paysages, les protéger d'atteintes diverses, considérer en somme ces paysages comme un Patrimoine, celui de notre culture comme celui de notre histoire.

* Sansot Pierre, Jardins publics, Payot, Paris, 2003.