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Michael Wolf - "We are watching you"

Si Michael Wolf est connu pour ses photographies de façades architecturales – que nous avons nous-mêmes exposées l'été dernier –, nous sommes heureux de présenter ses deux dernières séries, "Paris Street View" et "Tokyo Compression" dans une exposition monographique intitulée "We are watching You...", qui explore la relation photographe-photographié lorsque ce dernier n'est pas conscient qu'il est le sujet d'une photographie.

"Paris Street View" est une série réalisée à partir de captures d'écran du logiciel “Street View” créé par Google qui permet aux internautes de voir des images prises dans les grandes villes internationales, à intervalles réguliers, grâce à une caméra posée sur une voiture qui sillonne les rues, avec pour projet de créer une carte photographique mondiale. Michael Wolf utilise ces images comme matériau brut avec un double objectif : rendre une vision contemporaine de Paris et trouver une nouvelle manière de montrer une ville dont chaque monument, chaque rue, chaque terrasse de café a déjà été immortalisé par les plus grands noms de la photographie, d'Eugène Atget à Willy Ronis et Robert Doisneau. Car si les villes américaines ou asiatiques ont su intégrer à leur héritage architectural des bâtiments récents qui illustrent la création architecturale contemporaine, Paris est restée figée dans ses beautés historiques et la ville n'a architecturalement parlant que peu évolué depuis Haussmann.

La série "Paris Street View", très pixélisée, peut étonner au premier abord lorsque l'on connait les photographies architecturales de Michael Wolf d'une précision de détails incroyable. "Paris Street View" est cependant une suite logique à ses précédents travaux. Déjà dans "Transparent City", série réalisée à Chicago, la densité des immeubles de Hong Kong laissait place à la transparence d'une architecture de verre qui parlait plus des habitudes de vie des habitants de ces immeubles que d'architecture à proprement parler. Pendant ce travail, Michael Wolf se passionna pour la vie intime de ces personnes, à travers les vitres des buildings, et agrandit certaines scènes de vie qui donnèrent lieu à une série de photographies – "Details" – elle aussi très pixélisée, dans laquelle le côté “voyeur” de son approche émerge.

C'est le tout internet, l'accélération des moyens de communications, les flux de données, d'études de marchés, ce monde de gros plans, dans lequel nous sommes tous “pixélisés”, qui a paradoxalement ouvert une voie de recherche à Michael Wolf.
En s'appropriant les images issues de “Google Street View”, avec leur vocabulaire propre, fait de lignes superposées, de flèches indicatives et de formes géométriques qui se chevauchent, il fait entrer le Paris haussmannien dans le présent, voire le futur, et suggère une nouvelle façon de voir la ville : un cercle entourant une silhouette prolongé par trois flèches orientées dans différentes directions semble désigner une infinité de possibilités ; l'image d'un croisement de rues prend une toute autre signification lorsque les noms de ces rues apparaissent opposés sur l'image : “rue de la Fidélité” et “rue du Paradis”.

Mais "Paris Street View" questionne également la prolifération des lois sur la protection de l'intimité et les mesures anti-terroristes qui limitent – voire empêchent – le travail des photographes dans les grandes villes, alors que dans un même temps Google offre à toute personne ayant une connexion Internet la possibilité de voir des millions d'images prises en temps réel dans tous les lieux de la planète ; et met en lumière l'absurdité de la volonté de contrôle de la pratique de la photographie alors que l'apparition du numérique a rendu celle-ci accessible à tous.

La série "Tokyo Compression" pousse encore plus loin la question de l'intrusion photographique : Michael Wolf se place sur un quai du métro tokyoïte et photographie les voyageurs enfermés dans les wagons. Le but du photographe est de saisir les émotions et les réactions de ces personnes face à la violence d'une intrusion directe et proche – seule une vitre sépare l'agressé de son agresseur – alors qu'ils n'ont aucune issue, aucun moyen de s'échapper. Les tentatives de se soustraire à cette agression sont cependant diverses et révélatrices des différentes personnalités : yeux clos, visages détournés, mains qui obstruent la vitre. Cette série, qui cherche à capter la réaction du sujet de la photographie face à l'acte photographique induit un double sens à l'image.

Michael Wolf

We are watching You

jeudi 18 novembre 2010 - samedi 15 janvier 2011

La galerie particulière

16, rue du perche 75003 Paris