Ethan Murrow

J?ai grandi dans le petit État du Vermont, à la campagne, au nord-est des États-Unis : il s?agit d?un endroit réputé pour ses très belles terres agricoles, sa forêt luxuriante et ses villes pittoresques. Chacun a coutume de se pâmer devant ses paysages magnifiques tant ils apparaissent tels que dans le passé. Nombre de ses vieilles maisons et anciennes granges ont été joliment restaurées et ont retrouvé leur aspect d?origine. La nostalgie est célébrée avec une idéalisation du 19ème siècle liée à l?époque coloniale et à ses idéaux agraires en matière de propriété et de nationalisme.

 

Je ne suis pas sûr que quiconque parmi nous aurait aimé vivre dans une ferme au 19ème siècle, avec quelques moutons broutant sur des sols rocailleux, froids et déboisés. C?est pourquoi le terme nostalgie s?applique parfaitement au Vermont : la vérité est arrangée afin de nous apparaître plus agréable.

 

Et je suis moi-même complice de cet élan : ma famille a emménagé dans cet État afin d?y exploiter une ferme dans les années soixante-dix. Certes, cela fut tout à fait fantastique de grandir dans cet environnement, il ne s?agissait pas de casser de la roche ou de s?occuper de la traite de minuit !

 

Cette idéalisation des temps passés s?appuie sur de bonnes raisons : l?État a besoin de revenus, l?Histoire apporte du répit et du réconfort - particulièrement aux visiteurs étrangers - et l?on a pris l?habitude de croire en ce récit. Je me suis moi-même accoutumé à cet âge d?or recréé, cette « vie en rose » qui n?a pourtant jamais existé, ou seulement en partie.

 

Mais si nous pouvons nous arranger avec la nostalgie et rejeter les éléments qui nous dérangent en les transformant en notions romantiques, en fin de compte, nous en sommes tous au même point, conscients de l?utilisation que nous faisons de l?idéalisation afin de gérer nos attentes et nos frustrations. Se contenter de la vérité n?est humainement pas possible, et nous avons besoin de nous déconnecter d?une réalité souvent injuste et désordonnée.

 

En réalité, nous, êtres humains, sommes très doués pour éviter de faire face à la réalité. Ainsi, nous nous racontons des histoires, élaguons en conservant ce qui nous plaît et mettant de coté les choses plus fâcheuses.

 

Une partie de moi en a terminé avec cette vérité arrangée car je sais que nous devons croire en nos racines et en notre passé afin d?être en mesure d?évoluer et de vivre ensemble, en société. Cependant une autre moitié de ma personne, en repensant à cette ferme de mon enfance et aux mensonges qui vont avec, veut y mettre feu.

 

La nostalgie est une réparation artisanale, c?est une opération consistant à se rétablir. Mais elle est un pouvoir : elle a la capacité de cacher dans les archives les faits brutaux de la réalité racontés par quelques uns sur l?histoire d?une majorité.

 

Les dessins de la série «Hankering the Past» sont imprégnés d?idéaux et de stéréotypes, de sauvetages imparfaits et de réparations laborieuses du passé. Ils sont intégrés dans des scénarios de réhabilitation où prennent place des héros flamboyants. Ils jouent des apparences,  balancent entre hésitations et simulacres tandis que l?ancien rencontre le nouveau et que l?affrontement commence. Ils ne sont avant tout qu?une vision, qu?une version subjective d?un événement, car l?Histoire n?est que ça.

 

 

Ethan Murrow, septembre 2015