Stephan Balleux

Artiste pluridisciplinaire, peintre prodige, mais également sculpteur, auteur de videos, de performances, Stephan Balleux est l'enfant d'un siècle au cours duquel la récolte des images constitua l'acte inaugural de la création. En cela, bien que peintre, il hérite du doute à l'égard de la peinture inoculé par Marcel Duchamp et prolongé par les démarches sérielles du Pop art et de l'art conceptuel. Il peint à partir d'une cueillette d'images déjà là, il diffère l'acte proprement dit de peindre en collectionnant. Son ambition de peintre est alors entièrement occupée par une entreprise de dé-figuration.Mais celle-ci ne se réduit pas à la simple destruction, à une commune dévastation opérée par une quelconque bad painting et il y a une sorte de paradoxe dans les moyens mis en oeuvre par Stephan Balleux pour dé-figurer : c'est depuis une puissance virtuose de figurer ce que l'artiste dé-figure. Le symbole de ce paradoxe réside dans cet étrange magma de peinture, balayé sauvagement tout autant que méticuleusement détaillé dans le moindre de ses plis et de ses vagues que l'artiste nomme « blob » et qui constitue l'emblème de toute sa production d'images peintes.

Cette forme artificielle semble dotée, dans beaucoup d'oeuvres, de la qualité d'apesanteur d'un nuage. Forme suspendue, en attente, elle vient questionner des images banales afin de révéler un nouveau sens.  A l'inverse, invasive, à l'assaut des monuments, des activités humaines, elle envahit les visages et semblent tout recouvrir. Ainsi de cette série de portraits que nous présentons, figues de femmes, de séductrices ou de mères - dont certaines proviennent de notre imaginaire collectif, qui semblent en prise avec leur devenir informe, une sorte de futur antérieur.

Et c'est justement ce trouble, cette impossibilité de fixer les êtres et leur identité, mais qui s'étend ici également à la matière même, qui est sans aucun doute une des bases du travail de Stephan Balleux. Trouble qui s'articule, s'exprime principalement à travers l'idée de flou, en tant que traitement mais aussi en termes de réception : « Aucune image n'échappe au flou, aucun son, à la dispersion. Le réel lui-même est tissu de vague. Car le flou ne cesse de questionner notre perception et notre représentation du monde et de les relancer, comme s'il recelait ou énonçait une promesse de netteté, de connaissance, de beauté, d'un au-delà du trouble? Le flou est un passage obligé dans notre rapport au monde et aux oeuvres ». Trouble identitaire, de la matière au travers de ces déterritorialisations et de ses travestissements, mais aussi de l'artiste qui se remet en question. En effet, au-delà de la nature diversifiée et troublante des oeuvres proposées, le travail de Stephan Balleux frappe très vite par sa cohérence ainsi que par la pertinence de ses questionnements. Il s'agit pour lui de s'interroger, à l'ère digitale et virtuelle, sur l'identité et la place de la peinture.

Extrait du texte de Dominique Païni, La peinture et son double,
ed. Musée d'Ixelles, Bruxelles, Belgique