Laurent Millet

Laurent Millet  écoute les paysages  qui  lui parlent.



Paul Eluard parlait des moments de la vie comme des "instants échappés aux processus du temps". Octavio Paz répondait "l'instant est inhabitable comme le futur".  C'est ce va-et-vient dérangeant entre passé et  présent qui  nous échappe toujours  que j'aime dans le travail de Laurent Millet.
Quelle est  la source de l'attachement intime qu'il a pour des paysages qu'il passe son temps à reconstruire ?
S'agit-il de "terres natales" comme pour Raymond Depardon ? Ou, pour   ceux qui recherchent la possibilité d'une île, s'agit-il d'une recherche de terres promises ? Je crois plutôt qu'il s'agit d'une quête de "terres-promesses" telles que devinées par ce peintre du XVIIIème siècle qui promenait son  "miroir de Claude" sur les chemins pour les voir autrement. "C'est ainsi que nous voyons le monde disait Magritte : une peinture se superpose au paysage qu'elle représente de sorte qu'on ne fasse plus la différence". Simon Schama conclut : "sous les conventions qui bornent la vue, il s'agit de mettre au jour la veine du mythe et de la mémoire".

Pour le photographe comme pour le tailleur de pierre, la réalité n' est paradoxalement pas une donnée figée. Elle est seulement une donnée provisoire avant de  glisser sous la peau des apparences où "le déterminisme des idées prime le déterminisme des faits" ( G.Bachelard). Laurent Millet aurait été à l'aise au milieu des sculpteurs des Cathédrales du XIIme siècle quand ils sillonnaient l'Europe des Flandres à la Castille. Ses images sont comme arrêtées dans leur chute immédiate, sur terre comme dans les nuages, à travers les impalpables surfaces du monde liquide qu'il affectionne parce qu'il en montre les turbulences qui les animent et l'inertie qui les taraudent.
Il fait partie de ces photographes qui ignorent le raisonnement analogique  du montage de mécano. Sur les marelles qu'il recherche il fonctionne par ruades sans se servir de béquilles. Aucune aide métaphorique. Il se contente de labourer inlassablement ses  près carrés de prédilection.
C'est un photographe de l'aube. Non pas celle de la journée qui commence mais l'aube de la lumière qu'il attend. D'où vient-elle, comment éclaire-t-elle, qu' éclaire-t-elle ? Que se passe-t-il quand elle s'assombrit et s'en va ?
C'est précisément ce qu'il montre dans ses photographies et ses installations, non pas en quête d'auteur mais en quête de clarté. Nuri Bilge Ceylan tourne ses films comme des lettres qu'il envoie dans l'obscurité. Les photographies et les films de Laurent Millet sont des lettres qu'il envoie contre les vitres qui le séparent des nuages. Son goût pour la matérialité  fait de lui un photographe étymologique par son attrait pour les  poutres  celles  qui donnent accès aux chemins de traverses qu'il franchit à tout bout de champ.
Cela dit, il ne cherche pas à saisir des rythmes mais une rythmique en images arrêtées, celle du discontinu des  images par à-coups. Une rythmique qui suit les injonctions formulées par Cézanne quand il parlait  des "formes de femmes et des épaules de colline".
La modernité de ce photographe qui se satisfait de la simplicité qui l'entoure, s'éclate comme les poutres qui frappent l'eau sans écouter leur bruit. C'est ainsi qu'il fendille "les temps". Claudel disait " il est à la même heure toutes les heures à la fois" car  il y a les temps de la réalité et les temps de l'imaginaire. Le jeu des forces qui se déplacent en contre champ du jeu des mouvements sans remettre en cause la royale indifférence de la nature sont autant de temps privilégiés.
Il aime ces temps où il est agréable d'agir  parce qu'ils lui donnent la possibilité  d'aller sous la peau des nuages, sous la brillance des bulles.  La traque de ces dernières peut paraître bien  illusoire  à  celui qui ne voit pas qu'elles rythment le vertige. C'est parce qu'il est en résonance  avec les temps que  Laurent Millet est en résonance avec le vide qu'il suppose. C'est comme cela qu'il peut prendre de la hauteur au dessus des marais que hantent ses "tempestaires". Il n'a rien à voir avec ce guerrier furieux qui faisait battre la mer par dépit. Il cherche à faire sortir l'eau de son mutisme afin d'écouter-voir si l'écume lui répond.
Mallarmé disait que Sainte Cécile était la musicienne du silence. Laurent Millet écoute en silence les paysages qui lui parlent.

Alain Desvergnes


 

Artistes représentés