Pascal Pesez

"Nous voilà donc au coeur de la peinture de Pascal Pesez. Elle fait jubiler, elle électrise, elle se fait désirer, elle joue de nos perceptions. Elle nous emporte dans des fragments de paysage. Parfois elle se fait manipuler, comme ce polyptyque, en forme de retable, que l?on doit ouvrir, et dans lequel on se perd, dans une masse picturale, tantôt paysage, opalescence, fumerolles, là où le corps devient calligraphie d?un univers qui pourrait se déployer à l?infini. On aimerait baigner, être littéralement envahi par cette matière, elle flotte en nous, nous donne paradoxalement une idée d?apesanteur et de quelque chose d?organique.


Comme si le corps, bien là, pris dans ces masses roses, dévoilées dans un blanc nacré, se donnait à voir dans son envers, dans une intimité, dans la pulsion. Alors enfin cesse cette opposition, cette hiérarchie
vaine entre abstraction et figuration. Pascal Pesez nous convie ici de tout son être, sans concession aucune,  nous y répondons de la même façon, dans la fulgurance d?une vérité. Et la peinture se déploie par couches successives, par strates, depuis la toile, depuis cette matrice, elle donne, enlève, fait apparaître, immerge dans un océan de blanc. Ces formes font penser à du Bacon.


Mais ce serait trop simple. Une autre déclinaison de l?enfermement, des chairs, tumescences presque mentales, se déploie, tout ce qui est de l?ordre du dévoilement participe de cette déterritorialisation si chère à Deleuze. Nous sommes en pays inconnu, nous sommes dans une invention du signe. Car Pascal Pesez a beaucoup dessiné, il continue de le faire d?ailleurs. Dans une belle mélancolie, il resserre les lignes, ses dessins sont des architectures, des traits essentiels, un dépouillement, ils sous-tendent les peintures qu?ils côtoient sur les cimaises. Les toiles sont de grandes dimensions, donc, parfois monumentales, en les approchant nous voyons bien que chaque geste s?inscrit dans une chorégraphie. Pascal Pesez danse. Il donne du rythme, du souffle, de l?éternité. Et que dire de la lumière subtile qui en émane?


Dans ce travail, il y a deux temps, deux mouvements: le premier procède de la pulsion, d?une expression quasi sauvage, le second mouvement est une sorte de retour, où le motif devient sciemment pressenti, endeçà même de toute définition, ce qui lui donne un caractère universel, polysémique, d?où une proximité avec sa peinture, le reflux de motifs, qui se fraient à travers notre propre histoire, et qu?ordonnance ainsi l?invention de Pascal Pesez.


Je n?avais plus vu de la peinture depuis si longtemps. D?une telle exigence. Qui me donne à penser l?art comme une ascèse. Et bien qu?il n?évoque pas une telle filiation ? il parle de Chardin, Rubens, Bruegel, Manet, Monet ? je pense inévitablement à Bram Van Velde, pour qui le geste était une parole nécessaire. Il tenait en équilibre toute la toile. Chaque mouvement, chaque coup de pinceau, procède de cette même investigation, toujours au bord du gouffre, il redonne idée du vertige, quand peu à peu les formes surgissent.


Clothilde Escalle